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27/04/2012

Titre «Un tiers des pays dans le monde ont ouvert le droit de vote à des étrangers»de la note

 

Par CORDÉLIA BONAL recueilli par

Politologue au CNRS, Hervé Andrès, est l'auteur d'une thèse de doctorat sur le droit de vote des étrangers («Le droit de vote des étrangers, Etat des lieux et fondements théoriques », université Paris Diderot, 2007, à consulter ici).

Peut-on dire aujourd’hui que la majorité des pays européens ont mis en place le droit de vote des étrangers aux élections locales ?

Oui... et non. Les 27 Etats membres de l’Union européenne ont tous au moins ouvert le droit de vote aux résidents européens. Seulement dix Etats de l’UE (dont la France) se sont limités à cette seule ouverture.

Quatre autres Etats de l’UE ont des dispositions permettant l’ouverture supplémentaire à certains citoyens non membres de l'UE, mais pas à tous (au citoyens du Commonwealth seulement s'agissant du Royaume-Uni, selon des accords bilatéraux de réciprocité en Espagne, de réciprocité et de lusophonie au Portugal...).

Treize Etats membres de l’UE permettent à tous les résidents étrangers de voter, au moins aux municipales. Hors de l’Union européenne, seuls deux Etats (Islande et Norvège) accordent également le droit de vote à tous les résidents étrangers. Et de plus, en Suisse, plusieurs cantons accordent également ce droit.

Au total, les pays restreignant le droit de vote municipal à leurs seuls ressortissants sont minoritaires en Europe (14 sur 44), mais les modalités d’ouverture sont diverses. L’ouverture sans distinction de nationalité, telle qu’elle est envisagée en France, est pratiquée dans 15 Etats plus quelques cantons suisses.

Y a-t-il des constantes dans les conditions imposées ?

La durée de résidence exigée varie, je crois de quelques mois à cinq ans au maximum. Il y a différents modèles d’ouverture du droit de vote sur la base de liens culturels (Conseil nordique, Commonwealth, communauté linguistique, etc.). Le Royaume-Uni reconnaît le droit de vote et d’être élu à tous les citoyens du Commonwealth (Inde, Pakistan, Nigeria, etc.) pour toutes les élections et, avec les Européens, c’est donc une grande majorité des étrangers qui ont le droit de vote aux élections municipales.

En Espagne, c’est également une majorité des étrangers qui a potentiellement le droit de vote aux élections municipales grâce à des démarches diplomatiques récentes favorisant la réciprocité. Cela a contribué à faire évoluer le Maroc. L’article 30 de la nouvelle constitution marocaine adoptée par referendum en juin 2011 dispose que «(...) les étrangers (...) qui résident au Maroc peuvent participer aux élections locales en vertu de la loi, de l’application de conventions internationales ou de pratiques de réciprocité».

Et ailleurs dans le monde ?

Aux Etats-Unis, quelques communes reconnaissent le droit de vote municipal et la question est en débat. A New York, la proposition instaurant le droit de vote des étrangers est actuellement soutenue par 22 conseillers municipaux sur 51 et il n’en manque donc que 4 pour gagner la majorité, ce qui a de bonnes chances de se faire d’après ce que m’a dit récemment le coordinateur de cette campagne. A Toronto, une campagne est également en cours.

En Amérique centrale, la situation est diversifiée mais une dizaine de pays accordent droit de vote et éligibilité aux citoyens du Commonwealth. En Amérique du Sud, la règle générale, c’est la reconnaissance du droit de vote aux étrangers. Seul le Surinam réserve le droit de vote à ses nationaux.

En Afrique, au moins 9 Etats sur 53 accordent également le droit de vote à des étrangers. En Asie et Océanie, les expériences sont limitées (Corée du Sud, Jérusalem-Est, Hong-Kong, Australie, Nouvelle-Zélande).

Au total, un tiers des pays dans le monde ont actuellement ouvert le droit de vote à des étrangers, surtout à la fin du 20e siècle et au début du 21e siècle.

Les exemples des nos voisins tendent-ils à accréditer l’idée, mise en avant par Nicolas Sarkozy, selon laquelle autoriser ce vote favoriserait le communautarisme ?

La question qui est posée est de savoir si le fait d’exiger l’acquisition de la nationalité permet d’écarter les comportements communautaristes. Est-ce que les électeurs seraient moins communautaristes si on leur demande d’acquérir la nationalité française ? Est-ce que les électeurs étrangers seraient plus enclins au communautarisme que les nationaux d’origine étrangère ou les nationaux «de souche» ?

A ma connaissance, les expériences européennes ne permettent pas d’accréditer l’idée d’un communautarisme dû spécifiquement au vote des étrangers. En France, est-ce que les électeurs portugais (qui ont déjà le droit de vote municipal) sont plus communautaristes que les électeurs d’origine portugaise ?

Communautarisme et nationalité sont deux questions différentes.

En France, de quand date le débat ?

Dès le début des années 1970, les travailleurs immigrés prennent une place importante dans l’espace politique français, en menant et en participant à de nombreuses luttes (dans les entreprises, pour la carte de séjour, le droit au logement, etc.). En 1972, le programme commun de la gauche prévoit, dans le chapitre «emploi», que «les travailleurs immigrés bénéficieront des mêmes droits que les travailleurs français. La loi garantira leurs droits politiques, sociaux, et syndicaux.» La question de savoir si les droits en question doivent être exercés en France ou dans le pays d’origine n’est pas vraiment tranchée. Dans de nombreux pays d’émigration, la démocratie n’existe pas, et en tout cas, le droit de vote des émigrés est le plus souvent nié.

En 1973, le PSU (parti socialiste unifié), suivi de la LCR (Ligue communiste révolutionnaire), se déclare en faveur du droit de vote des étrangers. Cela s’inscrit pour lui dans la perspective d’égalité entre Français et étrangers, et aussi dans l’idée de renforcer la participation démocratique.

En 1974, plusieurs associations antiracistes lancent la candidature
présidentielle (symbolique) de Djellali Kamal, Tunisien de 18 ans , afin de réclamer l’égalité des droits et dénoncer le racisme. Entre les deux tours, un journaliste anglais réclame aussi le droit de vote au nom de l’égalité entre Français et étrangers. En 1977, lors de la campagne des élections municipales, le PS s’engage à assurer des formes de participation locale pour les résidents étrangers, et en 1978, lors de la campagne des législatives, il propose le droit de vote municipal.

En 1981, enfin, la proposition du droit de vote municipal des étrangers figure dans le programme de François Mitterrand, élu président de la République. Mais elle n’est finalement pas réalisée face aux réticences politiques et aux difficultés constitutionnelles.


Libération 27/14/2012

Interview En Europe, seuls dix Etats, dont la France, limitent le droit de vote aux élections locales aux seuls résidents européens, rappelle le politologue Hervé Andrès.

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